Journal d'un atelier
écrire une histoire en cinq séances de deux heures

Cet atelier en direction des enfants des centres de loisirs de Carmaux, Blaye-les-Mines et Saint Benoît s'est déroulé pendant les vacances scolaires de la Toussaint, tous les matins du lundi 24 au vendredi 28 octobre 2005, au centre de loisirs de Saint-Benoît de Carmaux. Il s'inscrit dans le projet Réalisation d'un petit livre illustré mis en oeuvre par l'association Trombone (plasticiennes : Izabelle Ferrebeuf et Laurence Delort) en partenariat avec la Communauté de Communes du Carmausin, dans le cadre du festival organisé par la Cimade Voyages, regards croisés sur les migrations.

Léo et l'oiseau-ciseaux

 

Les dispositifs d'écriture

Les enfants ayant effectivement pris part au projet sont scolarisés en CE2-CM1.


Lundi 24 octobre
Prise de contact et premiers pas...
Présentation du projet aux enfants : réalisation d'un petit livre illustré, ateliers menés tous les jours avec écriture le matin et art plastique l'après-midi, présentation de ce petit livre dans le cadre du festival Regards croisés sur les migrations au Bijou à Toulouse en novembre...
Des albums pour la jeunesse sont mis à leur disposition sur une table. Les enfants les parcourent. Je leur demande de prélever les mots qu'ils veulent tout en feuilletant. Je note sur une page les mots qu'ils me donnent.
On pourrait déjà écrire une histoire avec ces mots. A partir d'un pré-récit qui structure le texte les enfants sont invités à continuer chaque ligne en piochant dans la liste des mots. A ce stade de "sensibilisation" ils peuvent ajouter les mots qu'ils veulent, l'important est qu'ils fassent le geste d'écrire et qu'il y ait le plaisir d'un résultat.
Les textes sont lus.

Mardi 25 octobre


- J'écris au tableau Voyages, regards croisés sur les migrations. On explore ensemble ce que ces mots leur disent. Associations libres : chaque mot nous fait penser à quelque chose. Je note au tableau tout ce que disent les enfants.
- Puis on recherche ensemble tous les mots que l’on peut former avec les lettres et les sons du mot « voyages ». Même chose avec "voyageurs", « regards croisés » et «les migrations ». Constitution d'un lexique commun.
- Ecriture d'une histoire en utilisant ces mots. Les enfants peuvent se servir de la structure du pré-récit pour s'aider... Ils peuvent aussi amener d'autres mots. Lecture des textes.
- On fait ensemble une liste (liste n°1) de tous les personnages, lieux, temps, actions qui sont apparus dans ces premières histoires. 5 colonnes au tableau.
- Ecriture d'une deuxième histoire en puisant dans cette liste. Lecture des textes.

Mercredi 26 octobre
- Nouvelle liste (liste n°2) qui répertorie tous les mots (personnages, actions, temps, lieux ) de toutes les histoires écrites jusqu’ici.
- Que va-t-il se passer dans votre histoire ? "Vous allez raconter l’histoire de quelqu’un (un garçon ou une fille, on ne sait pas encore) qui va …" Organiser les actions de l’histoire sur une page (verbes à l'infinitif de la liste n°2, sur des étiquettes)
- Lecture de la succession des actions. On entend que cela raconte déjà quelque chose...
- Les premiers liens. Chacun va maintenant établir des relations entre ces verbes et les personnages, objets, lieux de la liste. Quelques exemples sont cherchés d'abord collectivement. Qu’est-ce qui se « mélange », par exemple ? Des choses entre elles ? On a des "oranges", des "lances", des "cartes", mais aussi l'âge et la voix …

Des oranges courent dans le jour... Des mots glissent au bord d'une colline

- Pas de lecture mais mise en commun des éléments comme réponses aux questions que je pose oralement afin de jalonner la construction du canevas et ordonner la progression de l'action dans l'histoire.

 

L’exposition

1) -C’est une histoire qui se passe... Lieu du départ : au bord d’une colline, dans la forêt ?

2)-On a un personnage principal, celui ou celle qui va partir : une petite fille, un petit garçon, une ogresse ?

3)- quel est l ’événement qui va provoquer son départ ? Pourquoi ? Mal à la tête ? Ne grandit jamais ? Doit partir en mission ?

 

Le voyage

Les épreuves

4) Aides : qui ou quoi va l’aider à obtenir ce qu’il ou elle est parti(e) chercher ? Qui rencontre-t-il(elle) ? 2 personnages ou 2 objets ou 2 événements

5)- Obstacles : qui ou quoi va s’opposer à lui (elle) ? un sorcier ? tombe malade ? glisse dans une mare ? 2 personnages ou 2 objets ou 2 événements

 

La résolution

6) - où arrive-t-il (elle)? description du lieu d’arrivée

- qu’est-ce qu’il(elle) va trouver au bout de son chemin ? Une chose ? une personne ? (fin)

 

 

Mise en commun orale et discussion pour la mise en forme. Le choix se fait par la recherche du point commun entre les différents éléments proposés, équivalent à ce que René Escudié, dans Des gorilles aux yeux mauves nomme le "dégraissage". Par exemple : avoir mal à la tête, glisser, se cogner, tomber malade= un accident, un empêchement.

- Au début … Qui ? Où ?

Mise en commun : un enfant- un roi- un géant / un palais
C’est l’histoire d’un enfant. Son père, le roi, est un géant. Ils vivent dans un palais, au milieu d’une forêt. Près du palais coule un ruisseau.

- Le départ. Qu’est-ce qui provoque le départ de l’enfant ?

Mise en commun : les soldats du roi partent en mission - les oranges et les châtaignes- l’enfant a mal à la tête- partir pour grandir.
L’enfant a beau manger les oranges et les châtaignes que lui donne son père il est malade, il ne grandit pas. Le roi envoie ses soldats en mission pour ramener de quoi manger à l’enfant. Mais ils échouent. Alors l’enfant décide de partir tout seul. Peut-être qu’il trouvera ce qu'il lui faut…

- Le voyage. Comment, où voyage-t-il ?

Mise en commun : sur la mer (2 x)
Il prend le bateau.

Mais on a aussi « il se cogne contre une maison ».
Où est cette maison ? Qui l’habite ?
Il se perd en mer à cause d’un ouragan et les vagues le dépose sur une île, il marche vers une maison mais c’est la maison d’un ogre qui brandit sa lance et veut le tuer pour le manger. Il fuit.

Est-ce qu’il rencontre quelqu’un ou quelque chose qui va l’aider ?

Mise en commun : le baiser du pélican- une grenouille
Il glisse dans une mare. Mais une grenouille va l’aider à s’en sortir (On ne sait pas encore comment, ni qui est cette grenouille…)
Puis il rencontrera un pélican, un pélican géant avec une énorme poche orange sous le bec. Ils vont faire ensemble une partie de cartes qui va permettre à l’enfant de quitter cette île dangereuse.

Comment va-t-il quitter l’île ? Les cartes forment un escalier qui se dresse vers le ciel. L’enfant grimpe l’escalier.

Qu’est-ce qu’il trouve au bout ?

Mise en commun : Il marche sur une fleur. Quelqu'un propose « une rose ». Creusement : Quand est-ce que le ciel est rose ? Le matin. Qu’est-ce qui dans le ciel pourrait être rose ? Les nuages
C’est le matin lorsqu’il arrive en haut de l’escalier. Les nuages font comme une rose. L’enfant pénètre au cœur de la rose de nuages qui s’ouvre pour le laisser passer.

La suite vient de « voyager deux fois plus loin » et de la couleur rose...
A ce moment-là passe un immense troupeau d’oiseaux, roses aussi. Des flamants.
Il glisse, il perd l’équilibre et tombe. Il se retrouve sur le dos d’un flamant.

 

- La fin du voyage

Où arrive –t-il ? Dans un pays inconnu : des marais. (On avait "une mare très très salée" dans la liste des lieux...)
Qu’est-ce que l’enfant trouve dans ce pays ?
Dans les marais il tombe amoureux d’une fille gentille comme un ange et il grandit là. (On ne sait pas encore pourquoi ni comment). Il ne revient pas chez lui.

Jeudi 27 octobre
Rédaction collective du premier chapitre. "On sait que cette histoire est celle d'un enfant qui ne peut pas grandir. Il va se passer quelque chose qui va le décider à partir... A la fin du chapitre il parvient au bord de la mer".
En puisant dans les personnages du canevas et dans les lieux qui ont été retenus dans les listes on a : un enfant, une grenouille, un pélican, un ogre, des marais, un ruisseau, une forêt, une île.
Au tableau je schématise le point de départ : la forêt, et le point d'arrivée : les marais, avec, au milieu, une île. Sur cette île il y a un ogre, une grenouille et un pélican. Dans les marais il y a la jeune fille et les flamants. Dans la forêt personne. Rééquilibrage. Personne ne va donc aider l'enfant à prendre sa décision ? On cherche oralement quel personnage on pourrait déplacer de l'île à la forêt... On a déjà un ruisseau dans la forêt. On se souvient que dans le texte de J. l'"âge" et la "voix" se mélangent pour former le mot "voyage"... L'âge : la question est bien comment grandir ? La voix sera celle de la grenouille. Une fois la grenouille dans le ruisseau comment expliquer sa rencontre avec l'enfant ? L'histoire progresse par questions/réponses.

Une fois tous les éléments établis collectivement, j'écris le début de l'histoire.
Les participants étant au nombre de quatre cette histoire comportera quatre chapitres.
Les temps d'écriture sont courts. Je propose quelques minutes d'écriture avec un pré-récit pour la rencontre avec l'ogre. La rencontre avec le pélican est imaginée oralement. Je serai donc la secrétaire qui prendra en note les propositions. Toujours par une série de questions qui relancent le récit et permettent toujours de préciser le "comment" d'une situation.

Les enfants invoquent en effet le plus souvent la magie pour passer d'une scène à une autre. C'est en creusant les caractéristiques d'une situation ou d'un personnage qu'on parvient à ancrer le récit dans une logique narrative.
Les cartes se dressent en escalier : Pourquoi ? Comment ? "Parce qu'elle sont magiques". Très bien, elles vont se dresser vers le ciel parce qu'elles sont magiques. Mais est-ce que le petit garçon a gagné ou pas cette partie de cartes ? "Oui puisqu'il s'en va par l'escalier". Bon, d'accord. Qu'est-ce qu'il fait juste avant ? Comment se finit la partie de cartes ?

De façon générale je demande aux enfants de dire ce qu'ils voient, comme dans un film. On revient donc sur la partie de cartes pour trouver des éléments qui nous permettent d'imaginer la suite. Je rappelle seulement les éléments de la situation : il fait chaud, le soleil tape, l'enfant est sur la plage pour faire une partie de cartes avec le Pélican. On n'a pas de règles pour ce jeu (tout jeu a ses règles...). "C'est une bataille". D'accord ce serait une bataille. Mise en situation : le Pélican va donc expliquer les règles à l'enfant. Je demande aux enfants de les écrire. Beaucoup trop compliqué ! Dans l'atelier, les enfants renoncent à écrire les règles de ce jeu et s'énervent. Et que peut bien faire l'enfant de votre histoire s'il ne comprend rien aux règles du Pélican ? L'identification fonctionne à ce niveau : on écrira seulement que l'enfant ne comprend rien à ces règles, "lancer un coup de pied", à la fin, envoyer les cartes en l'air, découlant aussi d'une situation d'écriture : il est possible de se débarrasser, à un moment, de ce qui bloque ...

Vendredi 28 octobre
Les deux derniers chapitres, le voyage sur le dos d'un flamant et l'arrivée dans les marais, sont écrits collectivement après une mise en commun orale de toutes les propositions. Marais, mare salée, ruisseau, l'enfant va vers d'autres eaux... Dans les marais "tout se mélange" (reprise d'une expression donnée par une des participantes, c'est une idée présente dans l'atelier depuis le début avec "un an et un jeu" qui, pour une des participante, ont donné le mot "ange"...)
Creusement (mots écrits au tableau) de certains mots tels que roseaux (rose, eaux, os, Zorro!...), le flamant devient une flamante par glissement successifs: avec la jeune fille "gentille comme un ange" du début elle a en commun les ailes surtout mais aussi la "gentillesse". Faisant aussi le lien : la recherche (toujours au tableau) des mots dans le mot flamante (flamme, âme, amante, hante, lame,...). Flamme évidemment pour le feu, l'élément et la couleur et, au figuré, l'amour... Par analogie avec "échassier" on trouve que les échasses permettent de s'élever au-dessus de l'eau, par exemple. L'image de l'enfant dont les os s'étirent est venue de là.
On cherche ensuite, parmi tous les objets amenés dans la salle (où se déroule aussi l'atelier d'art plastique), lequel pourrait servir à réaliser l'échassier. On trouve des ciseaux et une tondeuse à cheveux.
De là proviennent l'image de l'oiseau-ciseaux, expression que l'on conservera, et les mots de la grenouille. Que dit-elle exactement ? Ses mots avaient été laissés en suspens : au premier chapitre on savait seulement qu'elle lui disait de suivre le ruisseau pour quitter la forêt, car tout ruissseau se jette dans la rivière, la rivière dans le fleuve et le fleuve... Je donne néanmoins deux contraintes pour l'écriture : nombre de pieds identique et rime en "o" et "zo" (on reprend le segment "vers d'autres eaux" écrit au tableau lors de la recherche collective des connotations du mot "migrations"). On compte ensemble sur les doigts en la prononçant au fur et à mesure pour trouver la suite.
Que deviennent les trouvailles poétiques surgies au cours de l'écriture ? : "des oranges courent dans le jour"; "des mots glissent au bord d'une colline". L'histoire est habitée par les levers et les couchers du soleil ("l'ours rouge comme le soleil qui se couche"). Les mots (la voix) de la grenouille "glissent", eux, dans le ruisseau de la forêt aux marais. La colline devient un escalier d'où l'enfant tombe...
Recherche collective d'un élément présent dans les marais et pas dans la forêt pour expliquer que l'enfant grandisse dans les uns et pas dans l'autre : le sel. Il ne suffit pas de dire le sel fait grandir l'enfant... On creuse encore ici le comment. Il se dépose petit à petit... Les enfants énumèrent les parties du corps. De nouveaux liens surgissent.
A la fin "l'enfant ne revient pas chez lui" avons-nous décidé dans le canevas. Mais quelque chose lui fait penser à son point de départ. Logique de la situation : en grandissant il s'élève au-dessus des roseaux et, comme il a voyagé "deux fois plus loin", maintenant il voit aussi deux fois plus loin (effet de structuration du jeu voix/voie/voit, du passage d'un terme à l'autre depuis la recherche des mots dans les mots "voyages"). Idée d'un des enfants : "il a fait le tour de monde, comme Philéas Fogg, il est revenu à son point de départ !" La mise en forme se contentera de "il aperçoit la forêt de l'autre côté des marais...". Maintenant que l'enfant est grand, son père, et donc la forêt de son père, lui apparaissent différemment ("ce n'est plus la même maison"). Comment est-ce qu'il voit cela depuis les marais ?
Enfin, on cherche ensemble le nom de l'enfant ("Léo", proposé par une des participantes est retenu pour sa sonorité) et le titre de l'histoire (on doit intriguer le lecteur, l'accrocher avec quelque chose d'étrange, on peut se servir des mots de l'histoire).

 


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