Ecriture d'un récit à partir de neuf photographies de Saint Bertrand de Comminges

 

Le type m’avait donné rendez-vous au cloître. Bonne idée, ce cloître ! Certainement l’endroit le plus frais de ce maudit village. Lui, m’a tout de suite repéré, moi, dans la pénombre, j’ai eu du mal à discerner son visage mais sa voix en disait long sur ses exigences : un chantier énorme, quelqu’un de confiance et de polyvalent pour s’en occuper, logé, blanchi, et payé, qui commencerait tout de suite.

J’ai accepté sans poser de question.

 

Très vite, nous sommes allés sur le terrain. Effectivement : un chantier immense  !!! En ruine. Un champ de ruine. Enfin moi, c’est ce que je voyais. Lui, non bien sûr. Ce qu’il voyait  là, c’était les fondations : ici, une piscine, plus loin, un complexe hôtelier, et sous ses pieds, des cabines de douches…

Et tout ça, avec de la mosaïque, du marbre et des jets d’eaux  !!!

Il a rajouté qu’il n’était pas pressé mais qu’il n’aimait pas les feignants… puis, avec une grimace, il a marmonné quelque chose et j’ai cru comprendre que quelqu’un, avant moi, avait commencé le travail mais avait dû partir. Plutôt précipitamment.

 

Dans la foulée - il marchait vite- il m’a emmené jusque dans un réduit. Un endroit sombre, presque abandonné.

«  C’est là  » a-il rajouté, grand prince, «  que vous pourrez vous installer  »

Un vieux matelas et quelques gamelles traînaient encore. Je me suis dit que, pour l’instant, ça pouvait faire l’affaire. Je n’avais pas d’endroit où aller. Et personne, nulle part, ne m’attendait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

«  Au travail ! » qu’il m’a dit devant un petit bout de mur pourri, qui sentait les poubelles. J’ai senti qu’il voulait me tester. «  Regardez-moi ça ! Ce sont les cochonneries de votre prédécesseur …» Et il a continué à parler tout seul devant quelques traces blanches tandis que je me suis appliqué à badigeonner le mur. J’ai fait ça vite fait mais pour une première couche, le résultat était là. Il paraissait satisfait. Je devais lui plaire.

 

Le lendemain, je ne savais pas trop par quel bout commencer. Je suis retourné sur le chantier. Le soleil commençait à taper. La piscine ne m’inspirait pas. J’ai regardé les futures cabines, une bonne dizaine, alignée comme des étals au marché.

Je ne comprenais pas bien la méthode … tout semblait ébauché… tracé… puis abandonné…

 

D’un coup, un détail a retenu mon attention, dans l’herbe sèche : une semelle, comme si quelqu’un avait été stoppé, arrêté net, comme si… Alors, je ne sais pas ce qui m’a pris mais je me suis mis à creuser le sol. A creuser comme un fou. Et là, à peine enterré, je l’ai découvert, le corps. Enfin, une main, déjà décharnée qui, serrait encore, la anse d’un vieux seau. Un ouvrier, certainement. Un type, comme moi, qui avait dû travailler ici.

 

Et là, sans chercher à comprendre, sans demander mon reste, j’ai balancé mes gants à terre et dans la canicule, j’ai pris les jambes à mon cou.

 

S.P.

 

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