Suis le ruisseau
Dans un palais, au milieu d’une sombre forêt vivait un petit garçon qui s’appelait Léo. Son père, le roi, était très grand et très puissant.
Léo, lui, ne grandissait pas. Dans la forêt on trouvait des oranges et des châtaignes. Léo mangeait donc des oranges et des châtaignes. Mais il restait toujours petit. Le roi envoya ses soldats aux quatre coins du royaume : ils devaient ramener tout ce qu’ils trouveraient de bon à manger. Et Léo goûta de tout. Mais il restait toujours très petit. Et personne ne savait pourquoi.
Quand il était trop triste il allait chasser les grenouilles au bord du ruisseau. Ce jour-là il prit une toute petite grenouille orange. Mais au moment où il allait l’enfermer dans son bocal il entendit une toute petite voix : « Libère-moi et je te dirai ce que tu dois faire pour grandir ». Surpris, Léo relâcha très vite la toute petite grenouille qui se mit à chanter :
Suis le ruisseau
Vers d’autres eaux
L’oiseau-ciseaux
Soign’ra tes os
Puis elle plongea.
Léo n’avait pas envie de rentrer au palais, de continuer à manger encore des oranges et des châtaignes. Son père n’y pouvait rien. Alors il décida d’écouter la toute petite grenouille et suivit le ruisseau.
Il marcha tout le jour et quitta la forêt. A la tombée de la nuit il parvint au bord de la mer.
La maison rouge
Le bateau sur lequel il s’embarqua fut pris dans un terrible ouragan. Au matin, les vagues le jetèrent sur une île. Lorsqu’il se réveilla tout était désert autour de lui. Il se releva très doucement et se remit en marche. Le soleil tapait fort déjà. Soudain au milieu des feuillages il aperçut une maison rouge. Elle était pleine d’ombres et semblait vivante. Son toit dépassait la cime des arbres. Près de la maison il y avait des pièges qui ouvraient grand leurs mâchoires aux dents acérées. Et des taches rouges sur du bois mort. Et un petit tas d’os à côté. Boum ! Boum ! Boum ! La terre trembla. C’était un ogre. Il arrivait. Et il hurlait « Que fais-tu sur mon domaine ! ». Léo se mit à courir du plus vite qu’il put. Mais l’ogre allait sûrement le rattraper. Comment faire pour lui échapper ?
Le Grand Pélican
Léo réussit à atteindre la plage. Tout en courant il se retourna pour voir si l’ogre était derrière lui. Et il heurta un immense oiseau blanc qui sommeillait sur le sable. Il tenait ses ailes grandes ouvertes et portait sous son bec une vaste poche orange.
- « Cache-moi, vite, l’ogre me poursuit !
- A une condition, tu joueras aux cartes avec moi. Si tu gagnes la partie je ne te livrerai pas à l’Ogre. »
Léo promit. C’était ça ou bien être mangé. Alors l’oiseau replia ses ailes sur lui. Et Léo resta caché là.
L’ogre vint. Et l’oiseau ne dit rien.
Puis l’ogre s’en alla. La partie pouvait commencer.
« Je suis le Grand Pélican de l’Ogre. Il me nourrit en échange de mes tours. Mais je m’ennuie. Je veux jouer. Tire les cartes de mon bec. » Léo fouilla dans la grande poche orange, posa le jeu devant le Grand Pélican qui se mit à en donner les règles. Au début, Léo faisait tous ses efforts : Il y avait une règle pour chaque carte ! Il passa toute l’après-midi à écouter. C’était incompréhensible !
Il faisait presque nuit lorsque le Grand Pélican donna enfin la dernière règle : « Et surtout il ne faut pas mélanger les cartes ! ». Se rendant compte qu’il ne pourrait jamais gagner une partie avec des règles aussi compliquées Léo se fâcha : « Comment veux-tu jouer aux cartes sans les mélanger ! ». Et d’un coup de pied il les envoya voler.
Vers d’autres eaux
Alors, au-dessus de l’île et du Grand Pélican en colère, les cartes dressèrent un escalier qui se perdait dans les nuages. Léo s’échappa par là. Lorsqu’il parvint au sommet le soleil se levait. La rose des nuages s’écarta pour le laisser passer. Et Léo vit le vol des flamants.
Mais l’escalier disparut soudain et Léo tomba. C’est une flamante qui le rattrapa. Sur son dos. Ils volèrent longtemps au-dessus de la mer. Et ainsi Léo voyagea deux fois plus loin.
Puis ils se posèrent. Autour de Léo tout n’était que roseaux, sel et eau. Les flamants étaient chez eux. Lorsque Léo les vit marcher sur leurs longues pattes fines il se souvint :
Suis le ruisseau
Vers d’autres eaux,
L’oiseau-ciseaux
Soign’ra tes os
Alors Léo décida de rester auprès de la flamante. Des années passèrent. Le sel lentement se déposait sur sa langue, sur sa peau et dans tout son corps. Et ses os s’étiraient, s’étiraient, s’étiraient, haut, haut, haut au-dessus des roseaux.
Léo grandit tant et tant qu’il finit par apercevoir les arbres, de l’autre côté des marais… Ils faisaient une forêt qui ressemblait beaucoup à la forêt de son père. Mais elle lui paraissait si petite…