Six poèmes de Pierre Reverdy

Derrière la fenêtre qu'ils ont découpée à l'intérieur de leur photographie les enfants font passer un à un chacun des six poèmes de Reverdy qu'ils ont à leur disposition. Ils choisissent d'en recopier quelques vers, en lien avec ce qu'ils ont écrit auparavant.

 

Je suis dur
Je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
Je ne suis nulle part
Excepté le néant
Mais je porte caché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frappé trop souvent
Un coeur où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement

Pierre Reverdy (La liberté des mers)

 

Chemin tournant

Il y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l'eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
des voix rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d'orgue dans les sentiers
Le navire du coeur qui tangue
Tous les désastres du métier
Quand les feux du désert s'éteignent un à un
Quand les yeux sont mouillés comme
des brins d'herbe
Quand la rosée descend les pieds nus sur les feuilles le matin à peine levé
Il y a quelqu'un qui cherche
Une adresse perdue dans le chemin caché
Les astres dérouillés et les fleurs dégringolent
A travers les branches cassées
Et le ruisseau obscur essuie ses lèvres molles à peine décollées

Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte
règle le mouvement et pousse l'horizon
Tous les cris sont passés tous les temps se rencontrent
Et moi je marche au ciel les yeux dans les rayons
Il y a du bruit pour rien et des noms dans ma tête
Des visages vivants
Tout ce qui s'est passé au monde
Et cette fête
Où j'ai perdu mon temps

 

Orage

La fenêtre
un trou vivant où l'éclair bat
Plein d'impatience
Le bruit a percé le silence
On ne sait plus si c'est la nuit
La maison tremble
Quel mystère
La voix qui chante va se taire
Nous étions plus près
Au-dessous
Celui qui cherche
Plus grand que ce qu'il cherche
Et c'est tout
Soi
Sous le ciel ouvert
Fendu
Un éclair où le souffle est resté
Suspendu.

 

Ma vie
Est-ce vraiment la peine d'en parler
Tout le monde en dirait autant
Et comment voudriez-vous que l'on passât son temps
Je pense à quelqu'autre paysage
Un ami oublié me montre son visage
Un lieu obscur
Un ciel déteint
Pays natal qui me revient tous les matins
Le voyage fut long
J'y laissai quelques plumes
Et mes illusions tombèrent une à une
Pourtant j'étais encore au milieu du printemps
Presque un enfant
J'avançais
Un train bruyant me transportait
Peu à peu j'oubliais la nature
La gare était tout près
On changeait de voiture
Et sur le quai personne n'attendait
La ville morte et squelettique
Là-bas dresse ses hauts fourneaux
Que vais-je devenir
Quelqu'un touche mon front d'une ombre fantastique
Une main
Mais ce que j'ai cru voir c'est la fumée du train
Je suis seul
Oui tout seul
Personne n'est venu me prendre par la main.

Pierre Reverdy, La lumière ovale, Plupart du temps I

 

Les yeux inconnus

En attendant

Sur la chaise où je suis assis

La nuit

Le ciel descend

Tous ceux à qui je pense

Je voudrais être au premier jour

De mon enfance

Et revenir

M'en aller de l'autre coté                                                            

                           Pour repartir

La pluie tombe

La vitre pleure

On reste seul

Les heures meurent

Le vent violent emporte tout

Les yeux se parlent

Sans se connaître

Et c'est quelqu'un qu'on n’aura jamais vu 

Qu'une seule fois dans sa vie


Pierre Reverdy, Ferrailles, Pierres  blanches 

 

En face

                 Au bord du toit

                 Midi

     Trois gouttes d'eau pendent à

                                                  la gouttière

     Trois étoiles

                                          Des diamants

Et vos yeux brillants qui regardent

       Le soleil derrière la vitre

                       Un nuage danse

 

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