C’est ce que je vois dans l’interstice, un horizon dans la brume, des fleurs qui baissent la tête et regardent leurs pieds. Si tu ne me l’avais pas dit je ne saurais pas où je suis. Tu dis que c’est un champ de tournesols, que c’est une cathédrale plantée là-bas au fond à gauche. La terre paraît ingrate. Les fleurs sont parsemées, l’air semble épais et lourd.
L’homme a posé là son visage, les yeux grands ouverts, on croit qu’il sourit mais il s’interroge à ras de terre, coupé du monde, seul dans sa tête. Il s’interroge devant le champs de tournesols, et ce qu’il cache en-dessous -profond- il faudrait creuser jusqu’aux fondations de ce bâtiment pointé vers le ciel pour savoir. Il y aurait un trésor. Ce serait celui de la vierge noire.
Venue par la gare en même temps que les mineurs polonais, travailler à la mine, à la verrerie ou à la centrale thermique. La belle au sang noir. Elle les accompagne dans leur pèlerinage.
Le long du chemin il y a des tournesols qui regardent leurs pieds tellement ils ont honte. Et l’homme aussi qui leur tourne le dos.
M-L.R.
Le ciel était bleu, on dominait Albi, et les tournesols commençaient à perdre la tête. Ils étaient eux si tristes en ce début de journée, si chauds déjà et pas envie, malgré la si jolie chanson de Nana de se tourner vers le soleil. Ils faisaient la gueule, quoi ! Pourtant la journée s’annonçait magnifique. Hé, les tournesols, chaque jour est à vivre, haut les coeurs... d’artichaut. Enfin, leurs têtes inclinées nous permettaient de bien voir l’horizon brumeux, là où le ciel et la terre se rejoignent, là où j’aimerais, comme sur une palette de peintre, mélanger vraiment pour obtenir une nouvelle couleur. Désert le paysage, aucune présence humaine, sauf peut-être de ces murs blancs de maisons lointaines... que s’y trame-t-il ? Imagination en route, zoom arrière... Je vois enfin ces deux arbres amoureux, qui se touchent... ils sont aveugles mais rassurés de cette proximité feuillue.
Maintenant deux platanes qui se touchent aussi, se donnant leur main de feuilles, à leur pied une présence humaine. Celle de Pierre et de pierre sculptée... Oui il était sculpteur Pierre Astre, et aussi colossal que ses têtes, aussi fort... en apparence... la suite a prouvé qu’il ne fallait pas si fier... Pacifié, qu’il dorme en paix. Je suis très heureuse qu’il soit là aujourd’hui parmi nous et qu’on lui doive deux images. Des paires, sans arrêt. Tout va par deux désormais dans ma tête... c’est si terrible, inhumain, la solitudine. Merci Pierre, ton visage sourit aux étudiants... comme un pain quotidien. J’espère qu’ils savent le voir.
Comme voir sur cette franche ligne d’horizon une Ste-Cécile bonzaïsée ... puis des arbres séparés, pour ça peut-être que les tournesols continuent à faire la tête. Notre Dame de la Drèche, priez pour nous pauvres pécheurs et nous nous prosternerons sur cette terre qui est quelque fois si jolie. N’est-ce pas Monsieur Prévert ? Mes yeux s’élèvent vers les cieux et je pense à papa. Il s’appelait Pierre aussi, et peut-être aussi fragile que mon ami artiste. « Notre père qui êtes aux cieux, restez-y » et prenez soin d’eux, St-Pierre, vous qui avez les clés. En haut il y a comme du papier à musique, aucune hirondelle encore posée, ce n’est que la fin de l’été... pas de note de musique, mais elle est en mon coeur.
Une musique faite de petits tas de sable, avec ses hauts, ses bas, comme la vie. Mon coeur est en partance possible... wagons obligent... je suis sur le quai, ça y est, je vais embarquer... comme Alicia. Quelle liberté soudain, enfin libre de choisir moi aussi ma destination. Je deviens Alicia, je suis jeune comme elle et ma vie est devant. Surtout ne pas passer à côté. Bien connaître sa route, son cap, ne pas se laisser dérouter. Quelle chance, Alicia, si jeune et déjà sûre de ses choix, si jeune, et se connaître si bien, et faire la plus grande chose au monde, savoir être soi. Alicia, je t’envie, ta vie fais-la belle. La Vie est belle, un de mes films culte. Voyage, ma fille, voyage.
Quitte ces cheminées, cette brumeuse pollution... liée à la chaleur promise, cette brume du matin et seulement cela ? Pas sûr. Albi qui ne cache rien nous dit chaque jour, nous avoue son taux de pollution quotidien. Je te veux des horizons purs et transparents.
Comme ta vie, Lili... Quitte ton pays, sois en exil. Moi, à ton âge, je n’aurais pas osé, même pas, surtout pas, aller vivre à Paris où mon frère, de onze ans mon aîné, était "monté". On emploie ce mot ferroviaire quand on rejoint la capitale, là où tout se passe. Enfin, lui, il rentrait sur ses chemins de fer, tous les week-end, parti trop tôt, peut-être. Il venait d’avoir dix-sept ans.
Haut les coeurs, on le sait plus tard, la Vie est un combat, les jolies danses sont rares, on l’apprend plus tard. Ils l’ont enfin compris les tournesols et arrêté de faire la gueule, les voilà, avec leurs gros plateaux qui se redressent enfin. Prêts à nous donner de l’huile... du professeur du même nom. Je vois la pub : elle est si légère cette huile, que le professeur s’envole. Léger, léger, léger. S’ils continuent leur réclame il va rejoindre les cieux, lui aussi. Haut les coeurs et à coeurs légers et vaillants... rien d’impossible, comme à la Se.ne.ce.fe, où la route de fer est tracée, comme une destinée... sous des tunnels parfois... et au bout la lumière céleste, divine.
Retour sur image de pierre... son autre visage. Il était peut-être Gémeaux comme papa. Je l’appelais Pierre qui rit, Pierre qui pleure. Ta sculpture, visage géant, est moins souriante, et surtout ton regard, pupille en exil, si vide... Tel un aveugle il voudrait voir les cieux si bleus... pour ne plus avoir de bleus à l’âme. Pierre tu es là, posée à jamais parmi nous et ce n’est pas un cimetière, bien au contraire. J’aime l’idée que des générations de jeunes en quête de savoir, à l’aller, au retour, passeront entre tes oeuvres et, suivant leur état d’âme du jour, verront le sourire, ou son absence. Ton sourire, Pierre. Comment le savais-tu que dans ce bloc de marbre à sculpter il y avait de si beaux visages. Je pense aux esclaves et à leur douleur de se dégager de leur gangue... ceux de Monsieur Ange.
N.P.
Quel étonnant paysage. Sont-ce des genêts qui parsèment cette plaine plate comme la main, du moins est-ce une expression que je tiens de mes aïeuls. Et cette barre dans le lointain, limitant le regard et faisant paraître le ciel plus pâle... Il émane de cet endroit un mystère angoissant qui commence à m’obséder.
Et voilà qu’au détour de ce paysage mélancolique une figure grimaçante s’impose au regard, posée là au bord du trottoir, abandonnée peut-être depuis des lustres, et qui semble implorer, de son oeil valide, la compassion du promeneur.
Revoilà cette plaine, toujours plus sombre, rehaussée cette fois d’un monument dont la silhouette me semble familière. Bien sûr, c’est la Drèche, construction de briques qui rosit doucement lorsque le soleil vient la saluer au lever du jour. Est-elle placée là pour contrebalancer la monotonie ambiante et donner l’espoir d’un renouveau au pèlerin en quête de sens ?
Poursuivant ma découverte, mes pas me conduisent à ce qui semble être une usine en panne d’animation où trônent, à l’abandon, des wagons immobiles, constructions aux ouvertures barrées. Pourtant il me semble qu’il ne faudrait pas grand-chose pour animer ce décor immobile, et que derrière, hors de la vue, se cache la ville et sa fiévreuse activité.
C’est décidé, je vais m’enfoncer dans cet espace trop calme et fouiller pour découvrir la vie.
C’est gagné. La ville se laisse voir comme une belle ville. Ce qui me choque c’est ce monstrueux cigare, planté au beau milieu, qui semble indiquer une direction conduisant peut-être dans le centre, là où je pourrai rencontrer des gens, dialoguer, échanger des impressions, me fondre dans la foule et sourire comme si je revenais de loin.
Le mirage de la ville est bien réel, ce fichu cigare m’a trompé, et je retrouve la plaine inconnue, toujours aussi triste. Elle m’offre comme un défi de maigres tournesols que le soleil n’arrive pas à jaunir, des feuilles qui virent au noir et encore cette désespérance diffuse qui recommence à m’obséder. Aurai-je la force d’aller au-delà, vers une terre enfin hospitalière qui me remettra debout.
Quelle surprise, la tête reparaît -est-ce la même au moins- mais qui m’offre son meilleur profil, peut-être bourbonien, peut-être républicain- me faisant comprendre qu’il est inutile de vouloir changer la course de la vie et que l’on rencontrera toujours et de la douleur et de la joie selon que nos pas nous amèneront du côté pile ou du côté face de l’existence.
M.R.
Le cyclone continue de ravager les hauteurs d’Albi, les collines sont désertiques, la végétation souffre. La terre asséchée prend un aspect lunaire
Seul apparaît le Doigt de Dieu (La Drèche) dans ce ciel sans nuage.
Le brouillard encercle une masse méconnaissable. Hallucinant ! Ce tuyau dressé comme un I. Je sens cette fumée. Je suis oppressée.
Dans ce champ de tournesol, apparaît un personnage vêtu d’une pèlerine végétale qui relève sa tête, les autres la baissent. Demande-t-il de l’aide ? Nous avons soif...
Tel un Dieu, un gros bloc de pierre est tombé du ciel, la face tournée vers la lumière, une tête taillée à coup de hache, les yeux grands ouverts, exorbités, les narines gonflées, un demi-sourire.
Un deuxième bloc de pierre est posé face au premier. Chevelure au vent, nez aquilin. Sérieux ? C’est une oeuvre humaine.
E.G
En pleine campagne sous un ciel d’une insolence bleue, un camp où des réfugiés de la politique agricole errent sans but. Ils sont très affaiblis, le soleil les a abandonnés.
Pourtant cette belle journée réveille des géants antiques qui dorment dans les profondeurs de la terre dont un sort la tête pour profiter de la chaleur céleste.
Croyant encore dans la bonté divine, de loin, nos réfugiés implorent Notre Dame de la Drèche pour qu’elle donne du courage et hâte leur libération.
Leur prière a été entendue puisque déjà le quai de marchandises de la gare d’Albi apparaît. Déjà deux wagons sont en place pour les recevoir et leur joie est immense.
Ayant mis tout leur espoir dans la prière et ayant été exaucés, ils ne finiront pas dans les hauts fourneaux de cette usine qui détériore la vue d’ensemble de la ville.
Après avoir remercié Notre Dame de la Drèche les voilà regroupés autour de leur chef de file, prêts pour le départ, disant adieu à cette terre qui les a laissés dépérir.
Le géant a tourné la tête pour les saluer à leur arrivée à la gare. Celui-ci a fait la fac, ça lui a donné une grosse tête et le poids de ses études a écrasé son corps...
E.B.
Champ de tournesols dévasté, décimé dans la plaine, combattants du soleil désherbant, ciel sans nuage, sans dieu, sentinelle du courage, arbres secs verticaux, fatigués, ennemi au lointain, l’urbanisation et la chaleur, armure feuille, tête lourde, le végétal contre la chaleur, rang clairsemé
Météorite guerrier géant, de pierre, la civilisation de Champollion, Pierre Estie, hiéroglyphe- de petites fenêtres, la nature colonisée, les arbres au garde-à-vous, le buis définit un carré, aveugle malgré de grands yeux, un grand nez, une grosse bouche, de grandes oreilles, il semble tourné vers le ciel, passionné
La Drèche phare, château-église sentinelle, dans cette mer nourricière, le champ autour, horizontalité – cathédrale des champs à côté de la cathédrale des arbres, arrière garde, des tournesols ferment la marche. Les fils électriques à très haute tension essuient des décharges, arbres lieutenants à la frondaison éclatée veillent au loin
Alibi d’Albi, on ne va pas bâtir A. sur du sable, la ville rose des petits tas de sable, ville à chaux et à sable pour consolider des fortifications, les wagons d’Albi-Ville contiennent bien des surprises, peut-être sont-ils le menaçant métallique pour recueillir et amasser les grains de tournesol très loin – les wagons recellent des tas de tournesols prisonniers, les tas de cendres des tournesols chargés et déchargés, morts au combat.
Transformation par combustion du charbon en électricité, cathédrale du XXIème siècle, vu de la Drèche, civilisation industrielle en étendard, même la cathédrale bastion de la foi est perdue dans le lointain, vue panoramique sur la cité où le vert persiste en longs rubans qui suivent les rues. Platanes que cette coulée verte ? La ligne d’horizon- brume.
Au premier plan, un énorme tournesol, un personnage à la robe sombre qui se détache, les autres tournent la tête de l’autre côté ou la baisse, lui s’offre, sa robe semble plus sèche, l’ancêtre, le témoin des temps révolus, sa tête grasse fait comme une aura – c’est le reste de la lumière. Derrière champ désertique et trouble. Dans cet océan de terre crayeuse, de pauvreté et de débâcle, même l’ancêtre semble se replier sur lui-même, dans un ultime combat de grandeur il semble porter sur ses épaules tout le poids de sa race.
Un cyrano triste et qui doute de sa mission civilisatrice après ce parcours dans les champs alentour. Mousquetaire à la retraite, bien droit dans ses bottes, il songe et contemple les siècles, figure décapitée, dubitative, pleine de mélancolie- Hidalgo des causes perdues. Ou Dali qui reste à faire seulement de la pub pour le chocolat Lanvin.
M-C.N.